Le Plan Climat de Wavre : un groupement d’outils inconciliables qui brouillent les pistes.
Les dérèglements climatiques sont en cours, y compris chez nous, et nous devons tout faire pour en limiter la portée. Durant l’été 2021, nous avons connu à Wavre une inondation sans précédent et, durant l’été 2022, une sécheresse inédite. Ailleurs, cet été, un tiers du Pakistan a été inondé, provoquant la mort de plus de 1.500 personnes, dont 500 enfants. Le bilan des dégâts matériels s’élèverait à plus de 10 milliards de dollars.
Bastian Peter, conseiller communal Ecolo est intervenu, lors du Conseil communal du 22 novembre 2022, sur le PAEDC (Plan d’actions pour l’énergie durable et le climat) proposé par la Ville de Wavre. On lira ci-dessous le texte intégral de son intervention.
« Il s’agit pour nous d’une question de vie ou de mort, pour notre sécurité aujourd’hui et pour notre survie demain », « nous sommes sur l’autoroute vers l’enfer climatique, avec le pied toujours sur l’accélérateur ». Ce n’est pas moi qui le dis. C’est le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres en personne, devant les chefs d’état du monde entier, à la COP 27. Ses propos sont aujourd’hui clairement alarmistes. Sans équivoque, il dénonce une action trop faible des gouvernements du monde, un financement et une solidarité insuffisante.
Les dérèglements climatiques sont en cours et les catastrophes sont là. Aujourd’hui, il s’agit de nous sauver avec la planète : nous n’avons toujours pas ralenti l’allure. Prochainement, certaines parties du globe, pour le moment peuplées, deviendront inhabitables.
A Wavre, en signant la convention des maires, nous nous sommes engagés à la mise en œuvre d’une réduction de 40% d’émission de gaz à effet de serre pour 2030. C’est un exercice technique et politique à la fois compliqué et périlleux mais il est sage d’y avoir engagé la commune : c’est l’unique direction dans laquelle nous pouvons construire notre avenir. Nous apprécions également l’effort qui a été réalisé par la toute nouvelle équipe POLLEC (« Politique locale de l’Energie et du Climat ») de l’administration communale, qui a dû travailler dans des délais devenus serrés, suite au retard accumulé dans le recrutement.
Car nous sommes bel et bien en retard, et il reste beaucoup à accomplir.
Entre 2006 et 2019, à Wavre, d’après les chiffres que vous nous présentez, nos émissions auraient diminué de 4% en 13 ans, soit un rythme de baisse de moins d’un tiers de pour cent par an . Un dixième du chemin aurait donc été parcouru pour atteindre notre objectif de 2030. Mais il nous reste seulement quelques années pour réaliser les 90% du travail à accomplir. Bref, pour atteindre cet objectif de -40%, nous devons donc faire 15 fois mieux que ces dernières années. 15 fois mieux.
Ceci, c’est en prenant des hypothèses optimistes. Car c’est sans compter l’impact des autoroutes qui traversent notre territoire. Vous avez pris la liberté de les retirer du calcul. Mais je vous pose la question, si nous ne les comptons pas, qui va le faire ? La convention des maires définit son objectif sur une base territoriale. La portion d’autoroute qui traverse notre territoire fait donc partie intégrante de notre objectif de réduction de gaz à effet de serre (GES).
La région wallonne n’ayant pas défini d’outil d’évaluation de l’impact de nos biens de consommation, comme nos smartphones ou nos ordinateurs (en raison de la difficulté technique de les mesurer), ces émissions ne figurent pas non plus dans notre bilan. Tout comme la plupart des émissions du secteur industriel et du secteur agricole, dont la région wallonne ne fournit pas d’outil de mesure exhaustif.
Le bilan d’émission de GES du territoire de Wavre tel qu’il est détaillé dans ce diagnostic est donc sous-estimé. C’est notre premier constat . Il est tout à fait possible que les émissions du territoire wavrien ne soient pas en train de diminuer, mais nous ne savons pas le vérifier avec les chiffres que vous nous avez fournis.
J’en viens aux actions que vous envisagez. Le PAEDC dont nous avons pris connaissance est un véritable jeu de piste : il y a en réalité trois logiques différentes et qui s’entrechoquent : un « plan », un « logiciel » et des « fiches ».
D’abord, il y un « plan ». Au chapitre 6, on nous explique que nous allons devoir économiser +/- 70.000 tCO2 par an. Avec les mesures que vous envisagez, vous citez une économie de 27.000 tonnes dans le secteur du logement et de 13.000 tonnes pour le transport. Et puis… plus de chiffres. Il manque 30.000 tonnes , que nous ne trouvons nulle part dans le document et qui doivent concerner principalement les émissions du tertiaire, mais peut-être également celles du secteur industriel, du secteur agricole, de l’aménagement du territoire et de la production d’énergie renouvelable. On ne sait pas.
Ensuite il y a un « logiciel ». Différents objectifs qui constituent ensemble un véritable scénario de développement pour la ville ont été introduit dans le logiciel « FuturProofedCities », utilisé dans de nombreuses communes en Belgique. Dans votre présentation en commission, nous avons appris que vous comptiez sur une isolation de 35% des toitures du territoire, ce qui concerne à peu près 5.000 logements des 14.500 logements wavriens. Mais nous ne savons pas quelle part prendra la rénovation des toitures dans les 27.000 tonnes de CO2 que nous devrions économiser. Plus largement, nous ne disposons pas de la liste des autres variables que vous avez introduites dans le logiciel et nous ne savons donc pas si c’est un futur enviable et réaliste que vous nous proposez d’atteindre. Les objectifs opérationnels nous sont inconnus.
Enfin, il y a les « fiches ». Ces fiches constituent la liste des mesures que vous projetez de mettre en œuvre à Wavre. Elles constituent sans aucun doute la partie la plus abordable dans la lecture du PAEDC mais l’impact CO2 des différentes mesures n’est pas chiffré : on ne sait donc pas dans quelle proportion elles contribuent à la réalisation des objectifs. J’ai pu prendre connaissance d’autres PAEDC communaux sur le site de la région wallonne. Sur les 5 plans consultés, un peu au hasard, tous proposaient un tableau mesure/CO2 économisé/budget. Voyez Ciney, Ath et Spa pour prendre des réalités comparables à Wavre.
Nous avons retourné votre document dans tous les sens pour tenter d’en réconcilier les trois logiques avant de conclure que c’était mission impossible. Il y a des informations utiles dans les diagnostics posés par le PAEDC, mais le lecteur n’a pas les moyens de mesurer l’efficacité des mesures, ni même d’identifier les objectifs opérationnels que vous nous proposez d’atteindre. C’est un jeu de piste dans lequel on se perd inévitablement. C’est notre second constat.
Nous avons attentivement analysé vos fiches, et je vous propose que nous nous y attardions quelques instants. Vous développez des mesures intéressantes, des pistes qui méritent sans aucun doute d’être suivies. Nous apprécions particulièrement :
1- Votre décision d’étendre le piétonnier en partant de la place Cardinal Mercier et de végétaliser le centre-ville. Avec cette viabilisation de la Place Cardinal Mercier, vous suivez enfin la proposition historique des écologistes de doter Wavre d’un véritable cœur. C’est une excellente nouvelle pour l’Horeca, pour les commerces et pour les Wavriens (Fiches 25 et 26).
2- Votre décision de faire de l’administration communale un exemple en matière de développement durable : rationalisation des espaces, isolation des bâtiments, optimisation de l’éclairage, encouragement d’alternatives à la voiture pour le transport domicile travail, développement du télétravail (Fiches 1, 2, 3, 9, 10, 13, 14, 16 et 19).
3- Votre décision de verduriser les cours d’école de la Ville. C’est une mesure positive pour la santé mentale des enfants, qui permet également de lutter contre les îlots de chaleur en Ville et contre les inondations (Fiche 21).
4- Votre décision de jouer un rôle dans la rénovation du bâti par la réalisation d’une thermographie aérienne, la diffusion d’un guide à la rénovation énergétique, l’engagement d’un conseiller énergie et la mise en place d’une plateforme locale pour la rénovation (Fiches 11, 14 et 18).
5- Votre développement d’une stratégie de résilience en matière d’inondations, de sécheresse et de canicule. Nous devons effectivement adapter nos territoires pour mieux résister aux événements climatiques (Fiches 29 et 30).
Nous vous encourageons pleinement à réaliser ces mesures.
Mais il y a également des fiches sur lesquelles nous sommes plus réservés. Les voici :
1. La fiche 7, sur le développement à grande échelle des voitures partagées. Manifestement, nous n’entendons pas « grande échelle » de la même façon. Passer de 3 à 6 voitures partagées sur le territoire, ce n’est pas un développement à grande échelle. Le rapport recense +/-24.000 véhicules à Wavre dont 80% sont des voitures individuelles. Et il conclut : « la surcharge automobile constitue un réel problème au sein de la commune ». C’est une évidence : il y a trop de voitures dans nos rues et dans nos garages, et elles nous coûtent cher. Les pouvoirs publics doivent aujourd’hui investir : les ménages wavriens ont besoin de voitures partagées pour leur permettre de se passer d’une deuxième voiture, voire de vivre sans posséder voiture. Il ne nous faut pas 6 mais 50 voitures partagées pour quadriller le territoire. Nous devons couvrir nos 5 gares, mais aussi les quartiers résidentiels excentrés, comme le 4 sapins ou le village-expo, par exemple. C’est une évolution qui facilitera également le transfert modal vers les transports en commun, le vélo et la marche . Le développement que nous attendons va au-delà du projet des Mobi-points. Dans d’autres communes, les services proposés par Cambio ou Automotorsshare sont beaucoup plus développés, et on comprend mal la raison de ce retard. La Flandre poursuit un objectif d’une voiture partagée pour 500 habitants. On en est très loin.
2. La fiche 28, qui concerne l’adaptation du cadre urbanistique. Elle est très vague. Il y a pourtant beaucoup de choses à dire et nous n’allons pas faire le tour de la question ici. Mais vous ne parlez pas d’imposer un parking vélo par oreiller dans les constructions d’immeubles, vous ne parlez pas non plus de favoriser les bâtiments en structure bois, ni de prescription d’utilisation de matériaux biosourcés, ni de citernes d’eau pluie pour alimenter les sanitaires des habitations… Vous ne parlez pas de chaudières à pellets, de la promotion d’habitats groupés, de quartiers durables, d’aménagement des étages des commerces, et j’en passe. Vous n’évoquez pas non plus la rédaction d’un règlement d’urbanisme : à Wavre, nous n’en avons toujours pas.
3. La fiche 4, que vous appelez « développement du réseau piéton ». Mais c’est un réseau cyclo-piéton dont nous disposons, et son tracé a d’ailleurs historiquement été finalisé avec le GRACQ. Le Conseil communal a voté ce tracé en 2016. Et en 6 ans, on n’en a toujours quasi rien fait. Vous précisez qu’« afin de conserver la perméabilité de ces chemins, il n’est pas prévu de bétonniser les sentiers ». Mais beaucoup de ces sentiers doivent être viabilisés si nous voulons qu’ils puissent être utilisés par les deux roues, les parents en poussette et les PMR. Et il ne faut pas nécessairement bétonner pour qu’ils le soient, des matériaux perméables peuvent être utilisés.
J’en viens maintenant à deux axes de travail que nous vous proposons d’ajouter à votre dispositif.
• Axe 1 : il faut planter : un arbre absorbe environ 25kg de CO2 par an. Un hectare de forêt, c’est 6 à 16 tonnes par an . Voilà qui pourrait contribuer utilement à notre objectif. La Ville et le CPAS sont propriétaires de terres ou pourraient en acquérir pour les exploiter en forêts durables. Mais nous devons aussi planter partout : border les terres cultivées de haies mixtes (vous citez cette mesure à la fiche 29 pour prévenir les inondations), planter au bord de nos voiries, imposer des plantations plus nombreuses dans nos zonings économiques, en ville et sur nos parkings.
• Axe 2 : Nous devons acheter 100% de notre électricité en provenance de sources renouvelables, pour favoriser leur développement et montrer l’exemple. Curieusement, vous faites l’impasse cette mesure essentielle et je ne m’explique pas pourquoi. Beaucoup de citoyens sont passés à l’électricité verte. Pourquoi pas la commune ? Produire de l’énergie coûte de l’énergie. L’usage de sources d’énergie fossiles comme le pétrole, le gaz naturel, et le charbon rejettent des gaz à effet de serre. Le nucléaire produit des déchets extrêmement coûteux et polluants. L’avenir est au renouvelable et la plupart des pays du monde l’ont bien compris. Les communes du Brabant wallon doivent passer à l’acte.
D’autres mesures vertes devraient également être évaluées. Je vous en cite ici à la volée : placements éthiques et durables des finances de la commune, gestion des flux scolaires en centre-ville, électrification du charroi communal, mise en place d’un véritable guichet de l’énergie à Wavre, construction de réseaux de chaleur, mise en place de communautés d’énergie. Les pistes existent pour réussir notre transition énergétique.
Nos propositions d’amélioration du plan peuvent donc se résumer comme suit : prise en compte des émissions des autoroutes dans notre bilan, meilleure intégration des fiches et de l’outil FutureProofsCities, évaluation accrue des économies d’émission et du coût financier des mesures, clarté du scénario proposé, véritable développement des voitures partagées, mise en place d’une stratégie de plantation, viabilisation du réseau cyclo piéton, travail approfondi des critères d’urbanisme et développement résilient d’un projet d’aménagement du territoire, achat de 100% d’énergie renouvelable par les pouvoirs publics.
Cela fera bientôt 3 ans que nous attendions ce plan d’action. Nous aurions aimé le voter avec enthousiasme. Mais voter « pour » ce Plan d’Action en faveur de l’Energie Durable et du Climat, ce serait dire aux Wavriens et aux Wavriennes que nous savons comment atteindre une réduction de 40% de nos émissions de GES en 2030. Or c’est faux : à ce stade, vous faites certaines propositions mais le scénario n’est pas clair, nous ne savons pas si les moyens mis en œuvre vont nous permettre d’y arriver, et nous ne savons pas combien cela va coûter à la Ville.
Nous voterons pour le PAEDC le jour où nous pourrons identifier le scénario proposé et juger s’il est souhaitable, et le jour où nous aurons les garanties que ses mesures nous permettront d’atteindre une économie de 40% des émissions de Gas à effet de serre du territoire. Ce n’est pas le cas aujourd’hui.
Vous nous proposez une méthode « itérative » ; mais il n’est plus temps de faire du cabotage : nous devons avoir un cap et traverser l’océan.
Image par Pete Linforth de Pixabay.